LE VIN, UNE PASSION POÉTIQUE ARABE ?

Et si succomber au péché permettait de savourer pleinement tous les plaisirs et subtilités du vin. Et s’il faut succomber au péché, alors que cela soit pour la plus enivrante des expériences. Ainsi le vin est n’est plus seulement le nectar défendu mais il devient un véritable objet de mondanité pour la noblesse et devient la muse des poètes et des chanteurs.

Synonyme de raffinement le vin n’est pas étranger aux pays arabes. Bien que le vin et toutes les boissons alcoolisées soient prohibés en Islam, cela n’a su empêcher la culture de la vigne ni la consommation d’alcool sans que cela soit au Maroc, en Egypte ou même en Syrie.

Nous avons bu à la mémoire du Bien-Aimé un vin qui nous a enivrés avant la création de la vigne.

Cette belle métaphore est tirée du chef d’œuvre d’Ibn Al Fâridh (1181-1235 , Le Caire); L’Eloge du vin (Al-Kkamriya), qui a marqué d’une empreinte indélébile toute la mystique musulmane. Ce dernier est un des plus grands poètes de langue arabe, à l’égal de Rumi pour la langue persane.

A l’image de la Nuit obscure et les Cantiques spirituels de Jean de la Croix, Ibn Al Fâridh exprime l’amour divin sous des figures profanes.

Il use avec virtuosité et imagination créatrice, de toutes les ressources du symbolisme érotique si présents dans la poésie mystique arabe et persane, tout particulièrement chez Ibn Arabî, Hâfiz et Omar Khayyâm. Le traducteur, Emile Dermenghem, a fait précéder sa traduction d’une pertinente étude sur le soufisme et la mystique comparée ; elle est suivie des commentaires de Nabolosî et Bourînî, éclairages indispensables pour une meilleure compréhension de ce trésor de la poésie mystique arabe et universelle.  » Prends-le pur, ce vin, ou ne le mêle qu’à la salive du Bien-Aimé ; tout autre mélange serait coupable… « 

Voici quelques versets dépeignant son esprit vagabond et sensuel, aussi résigné que plein d’espoir. La traduction, qui date du début du vingtième siècle, est de Charles Grolleau. Est-ce un hasard que son nom est aussi celui d’une vigne ?



Il s’agit d’Abou-Nowâs1 (VIIIe-IXe siècle apr. J.-C.), poète persan d’expression arabe, « ivrogne, pédéraste, libertin, demi-fou de Hâroun al-Rachîd, aussi connu par ses bons mots et ses facéties, que par ses vers »2. Il naquit à Ahvaz, d’un père arabe qui le laissa orphelin, et d’une mère persane qui le vendit à un marchand d’épices de Bassorah. L’enfant, cependant, n’avait aucune espèce d’aptitude pour le commerce ; il ne prenait intérêt qu’aux choses de l’esprit et affectionnait particulièrement les belles lettres. Il n’avait qu’un désir : celui d’approcher le poète Wâliba ibn al-Houbab. Or, il advint qu’un jour ce poète libertin et amateur de garçons s’arrêta devant la boutique d’épices et distingua le jeune Abou-Nowâs pour sa mine. Il lui proposa de l’emmener avec lui à Bagdad : « J’ai remarqué en toi les signes non équivoques d’un grand talent qui ne demande qu’à s’épanouir », lui dit-il3. Plus tard, le bruit de son talent étant parvenu aux oreilles de Hâroun al-Rachîd, ce prince le fit venir à sa Cour, où il le logea et répandit sur lui ses bienfaits. Abou-Nowâs, par ses saillies aussi heureuses que hardies, par son savoir des expressions rares et par le charme de ses poésies, fit les délices de la Cour brillante de ce prince. Al-Jahiz, l’un des hommes les plus érudits de ce temps, disait : « Je ne connais pas à Abou-Nowâs d’égal pour la connaissance de la langue arabe ». Et Abou-Nowâs disait lui-même : « Je n’ai pas dit un vers avant d’avoir étudié soixante poétesses, dont al-Khansâ et Laylâ, et que dire du nombre des poètes ! »4 Jamais il ne renia, pour autant, ses origines persanes : il se moqua sans retenue de la gloire des Arabes « qui ne sont pas les seuls élus de Dieu » ; il attaqua cet esprit de race, cet orgueil tribal si important dans la poésie arabe, et dont s’armait un Férazdak peu de temps auparavant ; enfin, sa nature raffinée et dissolue refusa de se plier aux mœurs austères du Bédouin « mangeur de lézard et buveur d’eau de puits dans les outres » menant une vie précaire sur une « terre aride peuplée d’hyènes et de chacals »5.

« ivrogne, pédéraste, libertin, demi-fou de Hâroun al-Rachîd, aussi connu par ses bons mots et ses facéties, que par ses vers »

On raconte que le gardien des trésors d’Égypte demanda un jour à Abou-Nowâs quelle était son origine ; le poète lui répondit : « Mon génie me tient lieu d’origine »6. Ici, il aurait pu ajouter que son libertinage lui tenait lieu de génie ; car adonné qu’il était à tous les plaisirs, licites et illicites — avec une préférence marquée pour ces derniers — il en fit la matière de ses plus célèbres poèmes. Les scènes qui représentent des buveurs intrépides, toujours altérés, qui ne se laissent pas distraire de leurs graves occupations par l’appel à la prière que lance vainement le muezzin du haut des minarets ; la bonne chaleur du vin servi par une jolie fille habillée en garçon ou un joli garçon habillé en fille ; tel est le thème de ses poésies, que vient traverser parfois le souvenir triste des tavernes disparues et des compagnons dispersés : pensée lamentable, refoulée bien vite à grand renfort de vin. On raconte que le morceau dont Abou-Nowâs était le plus fier, et qu’il déclamait immanquablement si on lui laissait le choix, était celui où il avait rendu un délicat hommage aux parties intimes d’une inconnue : « Ô cabane d’un guetteur sur une cime glissante [pour] la main de qui la convoite ! L’ombre y revient quand la prend de biais le soleil, mais quand il lui fait face, elle invite à entrer. J’y déposai mon trésor, sauvé des ardeurs [de la canicule]. Après une courte pause j’y fus gratifié d’une légère ondée par les failles des roseaux, moi, blotti comme dans les flancs d’une autruchonne »7. Abou-Nowâs mourut à Bagdad en 815 apr. J.-C. ; il périt, semble-t-il, assassiné au milieu d’un festin, victime des rancunes que sa verve satirique avait suscitées.

Voici un passage qui donnera une idée de la manière d’Abou-Nowâs :
« Proclame haut le nom de celui que tu aimes,
Car il n’est rien de bon dans les plaisirs cachés.
Nous avons réveillé la tavernière amène,
Elle dit : “Qui va là ? — Mauvais garçons nous sommes,
Porteurs de flacons vides, amateurs de vin fort.
Il nous faut de l’amour ! — Mieux vaut”, dit-elle, “en somme,
Sacrifier un garçon brillant comme un sou d’or.
— Qu’il vienne !”, avons-nous dit, “car pareille fortune
Ne peut se faire attendre, sous peine de mort”
 »8.

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